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  • Photo du rédacteurHugo Winckler

Les nouvelles réglementations de l’Internet en Chine

La régulation de l’Internet en Chine s’opère à travers une série d’arbitrages entre les impératifs de développement de l’économie numérique et la volonté de préserver la stabilité politique. La création d’un « Leading small group sur la sécurité de l’Internet et l’informatisation » (中央网络安全和信息化领导小组,zhongying wangluo anquan he xinxihua lingdao xiaozu) par Xi Jinping en février 2014 a donné une nouvelle impulsion pour compléter le corpus réglementaire régissant la sphère numérique. Les nouvelles dispositions normatives sur le contenu d’Internet ainsi que sur les obligations des internautes et des sites d’information sont particulièrement difficiles à appréhender. La régulation de l’Internet fait rarement l’objet de lois structurées ; elle résulte surtout de multiples décisions émises par le Comité permanent de l’Assemblée populaire ou la Cour suprême. Le SIIO est maintenant devenu, sous l’impulsion de Xi Jinping, le principal organe de supervision de l’Internet. Il a publié, le 7 août 2014, un « Règlement provisoire pour le développement et la gestion des outils de messagerie instantanée et des services d’information publique » (即时通信工具公众信息服务发展管理暂行规定, jishi tongxin gongju gongzhong xinyi fuwu fazhan guanli zhanxing guiding)[6]. Cette réglementation a pour objectif principal d’encadrer plus précisément les outils comme Wechat qui échappaient en partie à la censure, contrairement aux réseaux sociaux particulièrement surveillés comme Weibo. En outre, le SIIO a rédigé un engagement de principe relatif à l’autodiscipline des acteurs de l’Internet chinois[7] qui a été signé par 29 entreprises du secteur numérique. Ces deux mesures illustrent la direction prise par la Chine lors du quatrième Plénum du 18ème Congrès du Parti Communiste tenu en octobre 2014.

Le quatrième plénum et les règles Internet

Le quatrième Plénum, consacré à « aux progrès d’une gouvernance conforme au droit » (推进依法治国, tuijin yifa zhiguo)[8], a aussi été l’occasion pour le Parti de prendre position sur la supervision et la réglementation de l’Internet.

Li He note un changement profond dans le discours du pouvoir. Celui-ci fait désormais référence, non plus à un « système législatif » (法律体系, falü tixi), mais à un « système de régulation par le droit » (法治体系, fazhi tixi). Selon Ren Xianliang, vice-président du SIIO, l’ancien concept consistait à « s'asseoir et pérorer » (坐而论道, zuo er lundao) alors que le nouveau consiste à « agir et avancer» (做而行之, zuo er xingzhi). Li He va dans le même sens en affirmant que l’esprit du quatrième Plénum est résolument tourné vers l’action, l’objectif étant de faire régner le droit au sein du cyberespace. Toutefois, on peut s’interroger sur les implications de cette politique. La rhétorique officielle employée par Li He sur la volonté des autorités d’« établir un cyberespace, sain, ordonné, et harmonieux » (建设健康、有序、和谐的网络空间,jianshe jiankang, youxu, hexie de wangluo kongjian) ne laisse pas beaucoup de place au doute quant à l’objectif du pouvoir de renforcer les contrôles sur le Web chinois.

Les « dispositions WeChat »

Comme le rappelle Hu Yong, la diffusion d’informations au public n’est pas libre en Chine. En effet, le droit de publier des articles d’information et de commenter publiquement l’actualité est réservé aux organes de presse ayant été habilités. Les autres médias, sans la qualité d’organe de presse, doivent se contenter de reprendre le contenu de ces articles sans pouvoir ajouter du contenu propre. Le développement rapide des nouveaux médias a donc contraint le gouvernement chinois à élargir sa réglementation pour englober les « médias sociaux » (自媒体, zi meiti). Comme le souligne l’auteur, la volonté politique derrière cette régulation est de contrôler ces médias qui peuvent saisir sur le vif un événement et l’ébruiter sur la sphère publique[9]. Hu Yong revient sur les points clefs de ces nouvelles réglementations.

La « qualité d’organe de presse »

Hu Yong fait remarquer que le nouveau texte réglementaire reprend les éléments utilisés par les autorités chinoises dans leur régulation des médias: seuls les comptes détenus par des entités ayant la « qualité d’organe de presse » (新闻单位资质, xinwen danwei zizhi) peuvent rédiger des commentaires sur « les événements en cours » (时政类新闻, shizheng lei xinwen). L’auteur note que la nécessité d’obtenir au préalable un « permis » (许可证, xukezheng) pour s’exprimer sur WeChat à propos de l’actualité suppose la mise en place d’un processus de « vérification » (审核, shenke), et donc d’un contrôle du gouvernement sur toutes les personnes qui s'expriment. Or, ce fonctionnement risque de freiner la croissance de l’économie numérique, un secteur en pleine expansion en Chine. L’auteur met également en avant le caractère confus de la régulation qui ne précise pas les modalités des procédures et les conditions d’obtention du permis. Selon l’auteur, cette absence de clarté n’est pas anodine dans la mesure où elle permettrait à l’administration d’exercer un pouvoir d’agir flou et potentiellement discrétionnaire sur l’Internet.

L’un des corrélats de cette nouvelle réglementation est par ailleurs l’interdiction de s’enregistrer sur un média social ou un site Internet en utilisant un pseudonyme. Toute personne qui publie ou commente du contenu sur Internet devra révéler sa véritable identité[10].

Le contenu

Hu Yong indique que les règles relatives au contenu des informations qui peuvent être librement publiées ou non sur Internet, ont été définies dans une réglementation datant de 2005[11]. Les contenus interdits ou faisant l’objet de restrictions pour les personnes ou entités n’ayant pas obtenu la qualité d’organe de presse couvrent de nombreux domaines et, de manière générale, tout ce qui est lié à des évènements d'actualité[12]. Ainsi, par exemple, Hu Yong note qu’un blog sur la finance pourrait être accusé de « diffuser des rumeurs pernicieuses » (恶意传播谣言行为, eyi chuanbo yaoyan xingwei). Le présent article ainsi que tout commentaire faisant référence à un fait divers récent ou une information d’actualité, concernant entre autres la politique et l’économie, tomberait dans le champ d’application de la loi chinoise, s’il était publié en Chine. La notion est donc très largement définie.

Un processus réglementaire et non législatif :

Hu Yong explique que la réglementation est purement administrative et ne résulte pas d’un processus législatif. En outre, elle a été élaborée sans transparence. Le professeur met en avant les limites de cette approche administrative qui ne permet pas, selon lui, d’établir un cadre normatif cohérent et clair. En effet, les différents médias, de l’Internet et les médias traditionnels, étant régis par des administrations différentes, obéissent à des réglementations distinctes[13]. Ainsi, en fonction de la source de sa publication, un même contenu pourra relever de plusieurs administrations de contrôle. La difficulté, comme le note l’auteur, est renforcée par la création permanente de nouveaux médias qui n’entrent pas clairement dans les catégories classiques, et dont le cadre juridique est totalement incertain.

L’engagement de principe : les sept lignes de bases

La lettre d’engagement de principe publiée par le SIIO reprend les différents éléments limitant la liberté d’expression sur Internet.

Les sociétés publiant ou gérant des commentaires sur l’Internet doivent respecter « les sept lignes de base » (七条底线, qi tiao dixian) formulées lors de la réunion du SIIO du 20 août 2013 : la loi, le socialisme, les intérêts légitimes des citoyens, l’ordre public, la moralité, la véracité de l’information, les intérêts de l’État, et « les neufs interdits » (九不准, jiu bu zhun)[14] qui sont les neufs sujets prohibés de manière générale dans les médias. Il leur incombera donc de traquer, en conformité avec la loi et sous le contrôle du SIIO, les violations à ces principes. L’objectif est « de bien administrer les sites Internet en application du droit afin de bien raconter les histoires en Chine »[15] (依法办好网站,讲好中国故事, Yifa ban hao wangzhan, jiang hao zhonghuo gushi).

Le communiqué énumère les 29 sociétés ayant signé l’engagement de principe relatif à l’autocensure[16]. Ces entreprises sont des portails d’information sur Internet liés à des organes de presse ayant obtenu l’autorisation officielle de diffuser des informations sur des éléments d’actualité.

Action en diffamation et « chasse à l’homme »

La Cour suprême a également publié en juin dernier des « règles concernant le règlement de litiges civils dus à des atteintes au droit par la diffusion d’informations sur Internet » (最高人民法院关于审理利用信息网络侵害人身权益民事纠纷案件适用法律若干问题的规定, zuigao renmin fayuan guanyu shenli liyong xinxi wangluo qinhai renshen quanyi mingshi jiufen anjian shiyong falu ruogan wenti de guiding), en vigueur depuis octobre dernier.

Ces règles ont pour but premier de donner des moyens d’agir contre la propagation de rumeurs sur Internet, et notamment celles concernant les personnes faisant l’objet d’une « chasse à l’homme » sur Internet[17]. Il s’agit, comme le rappelle l’article de Xu Ai, de pouvoir agir contre un internaute en raison de ses posts, mais aussi et simplement du fait qu’il aurait « reposté » (转发, zhuanfa) un contenu publié initialement par une autre personne. Une telle règle est particulièrement sévère dans la mesure où toute personne ayant reposté d’une quelconque façon une rumeur fausse engagera sa responsabilité civile. Les sanctions ne s’appliquent donc plus seulement à la personne à l’origine de la désinformation.

La seule limite de cette disposition, selon l’article, porte sur les erreurs de manipulation relatives à la republication de posts, l’auteur d’une erreur ayant évidemment la charge de fournir la preuve de son erreur[18]. Ces mesures, comme le note le Xu Ai, devraient être particulièrement restrictives pour les Big V[19], qui ne pourront que très difficilement invoquer l’erreur. Leur notoriété leur impose en effet d’être extrêmement précautionneux.

En outre, Xu Ai note que la nouvelle réglementation prévoit une responsabilité accrue des fournisseurs de service sur Internet s’ils ne contrôlent pas strictement les informations postées sur leurs serveurs par des internautes.

Conclusion

Le SIIO, relativement récent dans le paysage institutionnel chinois[20], est en phase d’occuper une place centrale dans le cadre de la réglementation de l’Internet. Pour le moment, les « dispositions WeChat » sont provisoires et la réglementation définitive devrait bientôt être présentée au public. Les différents articles démontrent assez clairement que, derrière la volonté d’instaurer un Internet plus propre et ordonné, il y a une volonté politique forte de limiter le potentiel d’Internet comme moyen de véhiculer de l’information en dehors du contrôle de l’État-Parti. Les nouveaux éléments normatifs devraient sensiblement limiter la liberté de parole sur l’Internet en Chine, mais devrait aussi être une contrainte pour les nombreuses stratégies marketings des sociétés Internet chinoises ou étrangères opérant en Chine.


Hu Yong[1], « Sur les dix dispositions WeChat », Aisixiang, le 7 août 2014.

Li He[2], « Promouvoir le ciel bleu de l’Internet à travers la régulation par le droit », Le quotidien du peuple, 28 octobre 2014.

Xu Ai[3], « La Cour suprême publie une nouvelle réglementation sur les médias sociaux »[4], Xinhua Wang, 9 octobre 2014.

State Internet Information Office (SIIO)[5], « Conférence de presse du SIIO - 29 entreprises signent la “lettre d’engagement sur les messages postés sur Internet” », Xinhua Wang, 11 novembre 2014.


[1] Professeur à l’École de journalisme et de communication de Pékin. [2] Journaliste au Quotidien du peuple. [3] Journaliste à Xinhua. L’article reprend les propos de Sun Jungong, vice-président du Centre de recherche sur les affaires pénales de la Cour Suprême chinoise. [4] Les médias sociaux (自媒体, zi meiti), littéralement « médias personnels », désignent tous les supports Internet pouvant servir de plateformes d’expression individuelle et de diffusion. [5] Agence publique, crée en mai 2011, en charge de la régulation de l’Internet en Chine. [6] Le texte est souvent désigné par l’expression « les dix dispositions WeChat » (微信十条, weixin shitiao). [7] Engagement de principe sur « l’autodiscipline relative aux posts et commentaires sur Internet » (跟帖评论自律管理承诺书, gentie pinglun zilü guanli chengnuo shu). [8] Le terme 依法治国, yifa zhiguo, parfois traduit par « État de droit », doit être distingué de l’expression以法治国, yifa zhiguo, qui pourrait être traduite par « gouvernement par la loi » (rule of law). [9] Sur ce phénomène, voir Hugo Winckler, « Le pouvoir judiciaire chinois et l’espace public événementiel », Droit et Société, n°86, 2014/1, 175-197. [10] Le système de contrainte pour assurer de la mise en œuvre effective de cette mesure n’est pas encore clair. En effet, un processus d’authentification systématique de tous les comptes Wechat entraînerait des coûts importants. [11] La réglementation publiée le 25 septembre 2005 est intitulée “Provisions sur l’administration des actualités sur l’Internet et des services d’information” (互联网新闻信息服务管理规定, hulian wang xinwen xinxi fuwu guanli guiding). [12] L’Article 2 de la réglementation précise que « les évènements d’actualité incluent les reportages et les commentaires liés à la politique, à l’économie, aux affaires militaires et diplomatiques, et autres affaires sociales publiques, et sur les évènements sociaux soudains » (时政类新闻信息,包括有关政治、经济、军事、外交等社会公共事务的报道、评论,以及有关社会突发事件的报道、评论). [13] Par exemple, un même article publié dans la presse papier et sur Internet relèvera, dans le premier cas, des réglementations et du contrôle de l’Administration d’État en charge de la presse, de la publication, de la radio et des films et, dans le second cas, du SIIO. En outre, sa publication sur Weibo et sur un portail d’information relèveront de deux réglementations différentes (le règlement de 2005 ou les articles Weibo). [14](1)Tenir des propos contraires à la Constitution, (2) Divulguer des secrets d’État, (3) Porter atteinte à l’honneur et à la réputation de l’Etat, (4) Inciter à la discrimination raciale, (5) Porter atteinte à la politique religieuse, (6) Disséminer des rumeurs, (7) Diffuser des informations obscènes, (8) Insulter des personnes, (9) Tout autre sujet contraire aux lois et régulations. [15] L’expression vient du titre d’une conférence de presse tenue par le SIIO à l’occasion de la publication de la lettre d’engagement. [16] La liste est disponible à l’adresse suivante : http://news.xinhuanet.com/newmedia/2014-11/06/c_1113150124.htm. Elle inclut des portails d’information majeurs comme Baidu, Sina, Sohu, mais aussi Caixin, organe de presse réputé plus indépendant. [17] Certaines de ces chasses à l’homme concernent des membres du Parti accusés de corruption. A ce propos, voir l’article : François Quirier, « Le débat autour des “recherches de chair humaine” », China Analysis, n°49, juin 2014. [18] Or, on voit en réalité difficilement comment il sera possible de produire la preuve d’une telle erreur. [19] Les « Big V » sont des bloggeurs très influents intervenant sur Weibo, dont les articles sont en général lus par des millions d'internautes. Leur identité a été vérifiée par Weibo (d’où le « V » pour « verified »), et leur compte est homologué par les autorités chinoises. Voir François Quirier, « le débat autour des ‘rechercheq de chair humaine’ », China Analysis, n°49, juin 2014. [20] Pour un aperçu sur ce cadre institutionnel, voir : Florence Rountree, « Gestion de l’information et régulation d’Internet en Chine », China Analysis, n°49, juin 2014.

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