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  • Photo du rédacteurHugo Winckler

Requalification d’un coursier Take It Easy : quelles leçons en tirer ?

Dans un arrêt largement commenté par la presse en date du 28 novembre 2018 (pour l’arrêt intégral, cliquez ici), la Cour de cassation a prononcé la requalification d’un contrat de livreur à vélo, employée par la société « Take It Easy », en contrat de travail. De nombreux commentateurs ont vu dans cet arrêt la remise en cause des pratiques opérées par les plateformes de mise en relation comme Uber ou Deliveroo. Pourtant, l’analyse de l’arrêt de la Haute juridiction appelle à d’avantage de modération quant à la portée de la décision rendue.

Pour rappel, la société Take Eat Easy (fermée en 2016) utilisait une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d’indépendant.

Alors que la société est en liquidation, l’un des anciens coursiers de cette société, travaillant sous le statut d’auto-entrepreneur, saisit le Conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir la requalification de son contrat de prestation de services en contrat de travail. Le coursier fait valoir que les conditions de travail le plaçaient, en pratique, dans un lien de subordination à l’égard de la société Take It Easy et qu’il y avait donc lieu, pour la juridiction prud’homale, de constater l’existence d’un contrat de travail.

Le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel de PARIS rejettent l’argumentation du salarié et se déclarent incompétents au motif qu’il n’existe pas de contrat de travail. La Cour d’appel de Paris, dans la lignée de son arrêt « Uber » retient notamment que si un système de bonus et pénalités était mis en place pour favoriser les coursiers les plus réactifs et que la plateforme avait la possibilité, en cas de manquements du coursier à ses obligations contractuelles, de mettre un terme à ses interventions, cela ne saurait caractériser l’existence d’un lien de subordination dans la mesure où le coursier demeurait totalement libre du choix de ses horaires de travail et qu’il n’était tenu à aucune clause d’exclusivité ou de non-concurrence.

Le salarié se pourvoit en cassation et obtient gain de cause au terme d’un arrêt dont la motivation est critiquable et dont la portée devra être nécessairement mesurée.

Après avoir rappelé que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné », la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en estimant que les éléments constatés caractérisaient l’existence d’un lien de subordination et devaient par conséquent aboutir à la requalification de la relation en contrat de travail.

Pour la Haute juridiction, le fait que la société Take It Easy était en mesure de suivre en temps réel la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus et, le cas échéant, au travers d’un système de pénalités, de sanctionner le coursier, caractérise l’existence d’un lien de subordination et doit aboutir à la reconnaissance d’un contrat de travail.

Il est vrai que l’organisation mise en place au sein de la société Take It Easy et le niveau d’élaboration du système de pénalités était particulièrement important en ce qu’il allait au-delà de la simple possibilité de mettre un terme au contrat. En effet, la société Take It Easy se réservait notamment la possibilité d’appliquer aux coursiers jugés fautifs des pénalités financières (perte de bonus), de les désinscrire temporairement et de les convoquer en entretien pour « évoquer » les difficultés rencontrées, ce qui pouvait être perçu comme un avertissement ou à un rappel à l’ordre et donc rapprocher la relation contractuelle d’une relation de salariat.

Cela étant, une telle motivation nous semble doublement critiquable :

1°/ D’une part, la possibilité d’appliquer des pénalités ou de mettre un terme aux relations contractuelles avec un prestataire en raison des manquements commis par ce dernier est prévue par le législateur à l’article 1217 du Code civil et régulièrement rappelée par la Haute juridiction (Cass. Com. 8 novembre 2017, n°16-22289).

Or, la constatation de l’existence d’un manquement implique nécessairement un regard sur la qualité de la prestation rendue, lequel ne doit pas être confondu avec le pouvoir de contrôle de l’employeur. A charge pour le prestataire qui estime que son contrat a été rompu de manière illégitime ou brutale de saisir les juridictions commerciales pour obtenir une indemnisation (Cass. Com. 5 avril 2018, n°16-19923).

En conséquence, la possibilité pour la société Take It Easy de mettre un terme à la prestation du coursier en cas de manquements de celui-ci ne pouvait pas, à elle seule, être confondue avec le pouvoir disciplinaire de l’employeur et justifier la requalification du contrat de prestation en contrat de travail.

2°/ D’autre part, la géolocalisation des coursiers était justifiée par l’organisation logistique de la plateforme et n’avait pas pour objet principal de contrôler la prestation de travail des coursiers. Ceux-ci étant en effet en partie rémunérés en fonction de la distance parcourue, la mise en place d’un outil de géolocalisation était objectivement nécessaire.

Et ce d’autant que les coursiers étaient libres de s’inscrire à des périodes de travail comme ils l’entendaient, sans obligation de présence minimum. Les coursiers n’étaient enfin tenus à aucune clause d’exclusivité ou de non-concurrence.

En tout état de cause et compte tenu des spécificités liées au niveau d’élaboration du système de pénalités en place au sein de la société Take It Easy, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 novembre dernier ne peut être considéré comme sonnant le glas des plateformes de mise en relation de manière systématique, et de manière plus générale, des entreprises faisant appel massivement à des travailleurs indépendants compte tenu de la diversité des organisations existantes.

Celles-ci devront toutefois veiller, le cas échéant, à une adaptation de leurs pratiques afin de limiter les risques dans l’attente d’une clarification de la position de la Cour de cassation.



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