Dans un arrêt remarqué et largement commenté du 4 mars 2020 (consultable en cliquant ici), la Cour de cassation avait à statuer sur les demandes de chauffeurs, qui exerçaient sous le statut de travailleurs indépendants, de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail les liant à la célèbre plateforme.
Au-delà du cas médiatique et spécifique des chauffeurs Uber, cette décision est l’occasion, pour la Haute juridiction, de rappeler que “les critères du travail indépendant tiennent notamment à la possibilité de se constituer sa propre clientèle, la liberté de fixer ses tarifs et la liberté de définir les conditions d’exécution de sa prestation de service.”
Et qu’à “l’inverse, dans le cadre d’un contrat de travail, le lien de subordination repose sur le pouvoir de l’employeur de donner des instructions, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner le non-respect des instructions données.“
Dans le cas précis des chauffeurs Uber dont elle avait à analyser la situation, la Cour considère que les chauffeurs Uber ne remplissent aucun des critères de travail indépendant : l’itinéraire est imposé par la société et en cas de non-respect de cet itinéraire, des corrections tarifaires, assimilables à des sanctions, sont appliquées.
Dans la même veine, la Cour relève qu’à partir de trois refus de courses, “la société Uber peut déconnecter temporairement le chauffeur de son application. En cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de « comportements problématiques », le chauffeur peut perdre l’accès à son compte“.
En d’autres termes, le chauffeur ne peut pas choisir librement ses courses et participe en réalité à un “service organisé de transport dont la société Uber définit unilatéralement les conditions d’exercice“.
Ainsi et pour la Haute Juridiction, l’ensemble de ces éléments caractérise l’existence d’un lien de subordination entre le chauffeur et la société Uber lors de la connexion à la plateforme numérique, son statut d’indépendant n’étant que fictif, peu important que le chauffeur “n’ait pas l’obligation de se connecter à la plateforme et que cette absence de connexion, quelle qu’en soit la durée, ne l’expose à aucune sanction“.
La Cour de cassation considère ainsi que l’absence de fixation des horaires, prérogative habituelle de l’employeur et caractérisant son pouvoir de Direction, ne suffit pas à écarter l’existence d’un lien de subordination pendant l’exécution de la prestation.
Dans ces conditions, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Uber et confirme le bienfondé des décisions de Cour d’appel, qui avaient condamné Uber, et qui étaient contestées devant elle.
De par sa rédaction très large, cet arrêt remet en cause le système mis en place par Uber de manière générale, indépendamment de la situation des conducteurs pris de manière individuelle. Autrement dit, cette décision a vocation à s’appliquer à l’ensemble des contentieux et situations en cours pour les chauffeurs qui ont été soumis à ce système de contrôle par Uber, ce qui devrait entrainer de nombreuses condamnations en série, tant sur le plan prud’homal que social.
Nul doute que cette décision, retentissante, va appeler les plateformes de mise en relation de ce type à revoir leur modèle économique afin de limiter le risque de contentieux.
Au-delà de ces plateformes et si cet arrêt est rendu à propos d’une situation très spécifique, il appelle également les professionnels recourant à des travailleurs indépendants, que ce soit dans les secteurs de l’immobilier ou encore du consulting, largement adeptes du recours aux indépendants, à surveiller d’avantage leurs pratiques pour éviter le risque de requalification.
Tristan HUBERT
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