Dura Lex Sed Lex résonne d’intonations graves. La vénérable maxime doit pourtant inviter à la circonspection ; la loi est dure, mais ce n’est pas toujours la loi.
Cela peut surprendre tant le droit paraît une somme inaltérable, scientifique, déjà là, une suite de règles à connaître et qui régentent tout. Il y a dans cette vision un fourvoiement profond. Le droit est liberté et construction, il est un outil par lequel on crée de la valeur en gérant les conflits d’intérêts inévitables de la vie. Le droit n’est jamais que ce que l’on veut qu’il soit, car il est un outil de libre utilisation.
Un principe de liberté : Les lois sont supplétives de volonté
Il arrive souvent qu’un justiciable entre dans le cabinet de son avocat et lui demande respectueusement : « Maître à quoi ai-je droit ? ». La réponse la plus juste est : « A ce que vous parvenez à convaincre l’autre partie de vous donner ».
Les règles de droit dans la plupart des cas ne sont qu’une sortie de secours à défaut d’accord contraire. Rien ne sert de s’y précipiter. L’entrée principale n’est pas là.
En effet, les règles de droit dans leur quasi-intégralité ne donnent des solutions applicables qu’à défaut d’un accord contraire entre les parties. A défaut de précisions contraires, une loi peut toujours être écartée. Elles sont dites supplétives de volonté, elles suppléent l’absence de volonté commune.
Prenons des exemples.
Dans un licenciement, le quanta prévu d’indemnisation par les décrets Macron ne contraint pas. Il est possible dans le cadre d’une rupture conventionnelle d’obtenir plus ou moins.
Dans un divorce, le montant de la prestation compensatoire peut être librement débattu. Les modalités de la garde des enfants aussi.
En d’autres termes, la volonté des parties prime sur la solution jurisprudentielle. Par un contrat, il est presque toujours possible de trouver une solution qui peut être contra-legem !
Ceci est très important à comprendre dans le cadre du règlement amiable des différends. Il est clairement inutile de partir du que dit la loi ! Elle dit rien, sauf à défaut d’accord. Elle exprime un possible conditionné et incertain. Dans la mesure où l’on respecte les normes d’ordre public et les normes processuelles, vivons libres et heureux.
En négociation les règles de droit ne permettent que de trouver la meilleure alternative à une solution négociée, soumise à l’existence d’un aléa judiciaire et à la réussite d’une procédure judiciaire (longue et coûteuse).
Contrairement à l’image d’Épinal, la loi n’est pas forcément juste. Elle peut être inique, inutile, ou même inadaptée. Si des centaines de doctorants planchent sans relâche pour l’améliorer, elle demeure toujours incommensurable aux besoins individuels. La solution donnée par le droit peut même être catastrophique !
Cela est normal et peu grave, car la loi et les solutions jurisprudentielles ne sont qu’un pis-aller à la négociation.
Les frontières du possible : Les règles d’ordre public & processuelles
Si on peut faire beaucoup par un consentement éclairé, on ne peut pas violer une règle d’ordre public.
Ces règles sont d’un nombre limité et sont totalement inviolables (exemples : les règles fiscales, pénales, les règles de sécurité, d’hygiène, temps de travail).
Ces règles sont les seules à prendre en compte impérativement dans le cadre d’une négociation. Elles ne prescrivent presque jamais une solution, mais indiquent les frontières à ne pas franchir.
Les règles processuelles sont des normes d’ordre public qui prescrivent la procédure à tenir pour pouvoir consentir valablement.
Ainsi, dans un divorce, il faut deux avocats, un délai de rétractation, le passage chez un notaire, s’il y a des immeubles ; dans le cas d’un licenciement, pour une rupture conventionnelle, il y a un parcours de rendez-vous, une procédure à mettre en place.
En définitive, il convient de partir d’une réflexion sur la situation concrète, sur ce que veulent les parties et construire une solution. Le cadre juridique ne donne que des indications à défaut d’accord et fixe les limites.
Le droit existe-t-il vraiment ?
L’alternative à la négociation est d’aller voir un juge. Là encore, savoir quel est le contenu du droit relève plus de l’imprécation shamanique que du travail scientifique. Le juge qui sera saisi à l’échéance d’une procédure judiciaire, contradictoire, incertaine, longue, est un décideur autonome qui apprécie souverainement les faits, prend position sur le droit applicable (et il y a souvent des normes contradictoires et parallèles) et décide librement sur la base de la jurisprudence, mais aussi du climat (un licenciement à Paris ou à Douai n’est pas jugé similairement) économique, politique et social. Le juge ne décide pas que sur la base du droit mais est un acteur dans un dialogue multiple avec les avocats qui présentent le dossier : deux versions opposées (souvent point par point), les autres juges via la jurisprudence, les positions doctrinales des professeurs de droit (toujours influencées par leur propre vision du droit), le contexte politique, la pratique des autres juges de la juridiction, ses propres convictions. Ce débat dont le juge se fait l’acteur au moment où il dit le droit fait que le juge n’énonce pas une décision sur la base d’une règle de droit claire et gravée dans le marbre, il décide à la place des parties après les avoir écoutées, selon son propre raisonnement et sa propre compréhension des faits, du droit et du dossier. Les avocats parlent d’aléa judiciaire, qui comprend tous les cas où un juge n’a pas été d’accord avec eux, mais cet aléa est intrinsèque à la position du juge, tiers à la relation conflictuelle, qui réfléchit d’abord de sa position (dans quelle décision je prends le moins de risque de critique) et en fonction d’un débat continuel. Le droit est en évolution permanente, il n’existe pas au préalable de son application concrète par un juge donné dans un dossier donné. Le droit n’affleure que ça et là dans sa concrétisation pratique.
L’alternative ouverte au justiciable est donc non pas d’écouter le droit par la bouche de l’avocat et d’obtenir d’un juge un jugement juridique, mais au contraire, de faire face à cette position de passivité, et en la dépassant, d’être soi-même acteur et créateur de son propre droit par la négociation, soit de se référer à la décision subjective d’un tiers, le juge, sur une question précise. Or, la réponse du juge sera toujours en décalage des besoins et de la volonté des parties.
Le droit applicable à une situation particulière est donc (i) ce qui a été décidé entre les parties et à défaut, (ii.) la solution concrète résultant d’une procédure contradictoire et donnée par un juge de manière spécifique à un dossier particulier.
Il y a donc dans la création du droit, particulier à chaque relation, plusieurs éléments à prendre en compte. D’abord la réalité économique, sociologique, psychologique … de la relation d’affaires, sociales, familiales, locatives … Puis, vient la dynamique interactionnelle : est ce que je peux négocier, est ce qu’il y a un moyen de communiquer. Celle-ci impacte directement la capacité de négocier un accord, mais aura aussi des conséquences sur une procédure judiciaire et donc sur la décision d’un juge. Et enfin, dans une troisième position, les normes juridiques qui servent de référentiel facultatif (pour les normes substantives supplétives de volonté) ou de clôture pour les règles d’ordre public et processuelles.
Le droit n’est donc pas un Autre significatif, inaltérable et qui nous tombe dessus comme une chape de plomb qui juge et limite, mais est au contraire simplement ce que l’on en fait et ce que l’on arrive à convaincre l’autre d’accepter.
Quelles leçons en tirer :
Pratiquer le droit c’est négocier et non pas être un sachant. Si l’avocat doit savoir les règles pour guider son client, le droit qui existera dans une relation particulière ne dépendra que de sa capacité à négocier et à comprendre les besoins de son client ;
Ce que dit le droit est très inférieur à ce que veut et dont à besoin son client. Pratiquer le droit c’est écouter et aider les parties à une relation juridique à comprendre et énoncer leurs besoins ;
Le droit n’est pas quelque chose qui impose mais est au contraire un ensemble d’outils dont on est l’acteur et le moteur pour créer sa propre solution juridique, sur mesure ;
Les modèles, le tout fait, n’a pas de sens. On ne peut pas acheter un contrat car un contrat en lui-même n’existe pas. Il n’est qu’une excuse pour réfléchir à la relation sous-jacente, à poser un cadre accepté et est un outil de gestion de relations humaines potentiellement conflictuelles. Il est un outil à construire. Sans cela, il n’est qu’un morceau de papier qui restera lettre morte et qui ne sera même pas vraiment applicable devant un juge, car il aura été violé de part et d’autre rendant la décision judiciaire incertaine.
Dès lors quelle doit être la position de l’avocat ?
Si l’on tire le sens plénier de la philosophie et de la structure du droit et des types de normes, le rôle de l’avocat n’est pas de dire ce que pourrait être le droit, mais est au contraire d’être l’artisan fabriquant, avec son client, une solution qui lui soit complètement sienne. L’avocat n’est dès lors pas un sachant et certainement pas un sachant pour son client, mais il est une oreille, un conseil, un coach, un co-constructeur. L’avocat est l’architecte de la solution de son client, pour son client et par son client. Il transforme en production juridique les besoins négociés de son client.
Comment consommer le juge ?
Le juge est un tiers, un tiers subsidiaire qui vient au secours d’une impasse et d’une impossible discussion entre les parties. Son recours doit donc être subsidiaire, limité à des points spécifiques. Le juge ne doit pas être perçu comme le gardien d’une table de la loi, mais comme un acteur complémentaire de la discussion que tiennent les parties, dans le cadre de leur situation spécifique et du débat juridique général.
Si le droit n’est qu’une virtualité en lui-même jamais inexistant mais perceptible que par effraction de manière accidentelle et anecdotique, lors de décisions teintées des circonstances d’un dossier, quelle est la fonction du droit ?
Il ne s’agit en aucun cas d’une machine à donner des solutions à des situations données. En tout cas, le droit ainsi que l’on connaît n’est pas comme cela. Code is law et les smart contracts qui veulent automatiser les rapports juridiques pourraient arriver à cette solution. Mais nous ni croyons pas. Il s’agit surtout du fantasme cartésien de la rationalité scientifique victorieuse sur le chaos de la réalité. L’application qui en un click vous dira « cher Monsieur vous avez divorcé et j’ai le plaisir de vous dire que par l’application scientifique du droit et de la jurisprudence, l’appartement, la garde des enfants et vos comptes bancaires ont été attribués à votre ex-femme et que vous avez renoncé à toute voie de recours … » ne fera pas long feu. Dans les relations humaines, le trop de rigidité entraîne plus généralement des ruptures, des heurts, et des conflits, qu’il ne les résout. Un bon contrat, un système juridique efficace, assure un savant dosage entre la sécurité juridique et l’adaptation permanente à la fluidité des relations, justement car cette souplesse permet au droit de respirer, mais surtout de pouvoir s’adapter aux différentes solutions de la vie et de ses tumultes.
Le droit est un outil de gestion de conflits d’intérêts, au préalable par la mise en place de systèmes contractuels et légaux et a posteriori par l’ouverture de moyen de règlement des différends. Le besoin humain auquel, le droit répond est la gestion des conflits d’intérêts. La mise en place d’une réglementation et d’un système judiciaire ne sont jamais que des outils pour résoudre ces conflits d’intérêts. Or, ces équilibres sont en constante évolution, comme la loi et la jurisprudence.
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